Le bien-être, le bonheur, être heureux, quel que soit le terme employé, voilà cette obsession de l'humanité, exacerbée surtout dans nos sociétés occidentales, être le but à atteindre qui définira aux yeux de tous une vie qualifiée de réussie. A supposer qu'on soit capable de définir la notion de bonheur, et nombreux furent et sont encore les psychologues, les sociologues, les psychiatres, etc. qui en ont tenté l'approche, est-ce pour autant que la quête du bonheur nous garantira le sentiment d'une vie réussie ? Parle de sentiment s'adresse à la subjectivité si bien qu'il y existe sans doute autant de notion de vie réussie que d'habitants sur la terre ; bref, où va-t-on si on ne peut pas objectivement définir ni le bonheur et une vie réussie ? Bien sûr, comme par le passé, tout cela ne serait pas important si trop de nos contemporains n'occupaient pas une grande partie de leur vie et de leur argent à une telle recherche de bien-être permanent qui les aveugle quant à la perception d'une vie réussie. Ainsi, le but de cette page est d'essayer d'attirer votre attention sur ces concepts au regard de ce que la Bible en dit puisque seul de Créateur sait mieux ce qui est bon pour chacun d'entre nous.
1. Un problème de vocabulaire
Avant d'aborder la conception biblique de ce que nous appelons le bonheur pourtant sans vraiment en cerner les contours, nous devons faire un détour par l'étymologie de ce mot et par ses définitions successives. Je sais que pour beaucoup ce n'est pas toujours très amusant d'en passer par là mais cela est nécessaire pour comprendre que dans les textes originaux, les mots bonheur et heureux ne s'y trouvent pas, même si presque toutes nos bibles les utilisent pour traduire l'hébreu. Afin d'être plus clair utilisons le passage suivant comme exemples :
Zilpa, servante de Léa enfanta un fils à Jacob. Léa dit : quel bonheur ! Et elle l'appela du nom de Gad. Zilpa, servante de Léa, enfanta un second fils à Jacob. Léa dit : que je suis heureuse. Et elle l'appela du nom d'Ashér. Genèse 30/10-13
Ce passage est la première occurrence du mot bonheur et de l'adjectif heureux-heureuse. Plus haut en Genèse on trouve dans nos bibles le mot heureuse à propos de la vieillesse d'Abraham : en Genèse 15/15 et 25/8 André Chouraqui parle de bonne sénescence au lieu de vieillesse heureuse, concept qui, à cette époque ne peut pas se trouver dans le texte comme nous allons le voir. Donc avec la naissance de Gad et d'Ashér (pourquoi la graphie d'Aser dans nos bibles ?) nous sommes face aux deux principaux sens des mots que nous traduisons par bonheur et heureux mais avec la définition que nous leur attribuons de nos jours à savoir respectivement un état de conscience pleinement satisfaite, heureux étant alors l'état de celui qui connait le bonheur. Or cette définition moderne dérive de l'hédonisme grec qui fait de la recherche du plaisir le fondement de la morale et de la vie. Cette notion et cette quête n'existait pas dans l'Ancien Testament mais furent introduites par la colonisation grecque. André Chouraqui (mais aussi La Voix de la Thora dans ses commentaires) traduit le verset 11 par «Léa dit : la fortune est venue, elle crie son nom Gad, Fortune" et le verset 13 par "Léa dit : en mon entrain, oui les filles ont dit mon entrain ! Elle crie son nom Ashér, entrain.»
2. Fortune et entrain
C'est en regardant d'abord du côté de l'étymologie et donc de l'origine sémantique du mot bonheur que nous com-prendrons mieux le choix des mots fortune et entrain pour désigner plus vraisemblablement ce qu'exprimait Léa. L'ancien mot français heur est une déformation très tardive (1121) du latin augurium (présage) qui a donné en français augure. Donc, avoir le bon heur ou le mal heur signifiait simplement avoir ou non de la chance, subir une fatalité, un sort favorable ou funeste. Ne disait-on pas jadis faire bonne ou mauvaise fortune ? Par conséquence, l'adjectif heureux qualifiait une personne qui avait la marque du bon présage, de la bonne chance, être mal heureux signifiant l'inverse. Notez que l'usage emploie malheureux mais plutôt bienheureux que bonheureux ! Le bonheur est donc à l'origine l'expression d'une chance, d'une fatalité favorable, le rendant synonyme d'avoir de la chance bien sûr mais aussi de bonne fortune. Or le sens originel de ce mot est exactement le même puisqu'il fait référence à Fortuna, la divinité qui symbolisait le sort et les hasards de la vie. Il calque donc le mot heur dans son sens de chance. Léa ne s'écrit pas "quel bonheur" comme le traduisent nos bibles mais "quelle chance, quel bon sort" d'avoir, par sa servante, un nouveau un fils porté à son crédit pour Jacob alors qu'elle n'enfantait plus. Il s'agissait bien du sens originel du mot bonheur et non pas de son sens actuel venu introduit dans nos bibles lors de sa traduction en grec dites des Septante (pour les 72 traducteurs). Bien entendu, l'évolution linguistique de l'hébreu a désormais inclut ce sens moderne dans l'emploi du mot initial. Ainsi, dans la Bible, partout où le mot bonheur est présent, on devrait le remplacer par chance lorsqu'il est employé pour désigner un sort favorable, une faveur ponctuelle ou par bien-être lorsqu'il s'agit d'une attitude permanente de contentement, de joie. Le mot bonheur pourrait être acceptable de nos jours mais il est beaucoup trop imprégné par son sens moderne corrélé au matérialisme et à la philosophie.
Le mot entrain semble nous éloigner de la traduction habituelle du nom d'Ashér en heureux. Pourtant il nous permet de nettoyer nos bibles de toutes les introductions grecques que n'avait pas la pensée sémitique de l'époque. Une fois encore c'est à la traduction de la Septante que nous devons cette erreur grossière puisque dans les 43 occurrences où l'hébreu emploi ashrei, la Septante utilise le mot grec makarios qui signifie bienheureux, béat et que nous avons transcrit par heureux, fidèlement au grec au lieu de l'hébreu. Or, dans tous les dictionnaires étymologiques de l'hébreu biblique, le mot ashrei a pour racine ashar dont le sens premier et principal est celui de marcher tout droit, ashur étant le pied de l'homme en langage poétique mais qui est souvent traduit dans nos bibles par un pas ou des pas. Le sens d'être heureux est très tardif et secondaire (A. Chouraqui) et en tous cas ne correspond pas du tout au contexte des versets. C'est le plus souvent une exclamation au pluriel en début de phrase, rendue par heureux comme l'exclamation d'amen en début de phrase de Jésus, est rendu par en vérité. Chouraqui nous propose plutôt en marche, bien plus conforme au mot hébreu et qui signifie être sur la voie droite qui mène à Dieu. Concernant le nom d'Ashér il s'agit donc plus d'une idée de marche conquérante empreinte de vivacité et de bonne humeur plutôt que celle d'un bon heur (en deux mots), d'un coup de chance ou du sort comme pour Gad. Par exemple, avec quelques versets des Psaumes, comparons la traduction de ashréi de nos bibles avec une traduction plus proche de l'hébreu :
Heureux (ashréi) celui qui s'intéresse au pauvre. Au jour du malheur l'Éternel le délivre. L'Éternel le garde et lui conserve la vie. Il est heureux (ashréi) sur la terre.
En marche (ashréi) l'homme perspicace devant le pauvre. Au jour du malheur l'Éternel le délivre. L'Éternel le garde et le fait vivre. Il est en marche (ashréi) sur la terre.
La première traduction de ce passage (Ps 41/2-3) nous interroge quant à la notion de bonheur que l'on est censé générer en étant attentif aux pauvres alors que la seconde, plus pertinente, nous indique que nous suivons la voie de Dieu en se préoccupant des pauvres : cela me semble plus intéressant. Deuxième exemple dans le psaume 112/5 :
Heureux l'homme qui exerce la miséricorde et qui prête, qui règle ses actions d'après la justice
Il est bon (ou bien) l'homme qui gracie et qui prête, il entretient ses paroles de jugement
Dans ce cas le mot traduit par heureux n'est pas ashréi mais tov qui signifie bon ou bien comme en Genèse 1 quand Dieu voit que ce qu'il a créé est bon (ou bien). Là encore quel rapport avec notre notion de bonheur ? Bien qu'il y ait d'autres exemples (Ps 128/2, Prov. 16/20, Prov. 20/7, etc.), j'arrête là car je pense que vous avez compris !
3. Les signes d'une voie droite
Nous voyons donc que siècle après siècle, nos traductions ont conservé le texte syncrétique de la Septante qui a essayé de présenter une version de la Bible hébraïque acceptable à tous les courants de pensées de son époque au lieu d'en rechercher la véritable signification hébraïque. Elle a ainsi introduit la notion grecque de la quête du plaisir à venir en récompense d'une œuvre, ce dans lequel n'a pas tardé à s'engouffrer la religion catholique. Or le Nouveau Testament est écrit en grec, principalement par des juifs, sur le modèle de la Septante qui deux siècles auparavant traduisait par "makarios" l'exclamation "ashréi" de l'Ancien Testament, les 43 occurrences étant traduites par notre fameux heureux comme nous l'avons vu. Or ces textes fondent l'Église et les paroles de Jésus sont pour le chrétien de la plus haute importance. C'est ainsi que le mot heureux n'a rien à faire à chaque fois qu'il traduit cette exclamation de la pensée hébraïque car Jésus et les apôtres étaient juifs. Jésus n'a donc jamais prononcé makarios mais bien ashréi, notamment dans les évangiles de Matthieu et de Luc lors du sermon sur la montagne. C'est aussi le cas dans toutes les lettres comme dans Romains 4/7-8, Jacques 1/12 et 25, 1 Pierre 3/14 et 4/14 et toutes les occurrences de l'Apocalypse.
Je pense que dénoncer cette erreur de traduction est importante car elle induit inconsciemment le chrétien dans une culpabilité illégitime. En effet, qui déborde de joie et de bonheur, bref qui est heureux lorsqu'il est outragé, victime d'une injustice ou affligé et persécuté pour la cause de Christ ? Ce terme est vraiment inapproprié puisqu'en plus du préjudice subi, la Parole dit que tu dois être content de ton sort, sens du mot heureux comme nous l'avons vu, et ne pas te plaindre. Au contraire, ce sont bien les afflictions de la vie chrétienne dont la Bible nous parle et nous sommes autorisés à exprimer la peine, la tristesse ou l'abattement qui agissent dans notre âme de façon temporaire mais qui ne peuvent jamais nous voler la joie permanente de notre marche avec le Seigneur. Seul le bonheur synonyme de bien-être est un état de cœur permanent et personne ne peut le voler. En fait, tous ces versets sont autant de signes, de panneaux sur notre route vers la sanctification qui nous indique que la voie que nous suivons est bien la bonne. Si en tant que chrétien vous cherchez des signes du ciel et bien vous en avez de nombreux dans votre bible : chaque fois que vous avez faim et soif de justice, vous êtes sur la bonne voie du royaume de Dieu, chaque fois qu'on dit de vous toute sorte de mal à cause du témoignage que vous rendez de Jésus, vous êtes sur la bonne voie, chaque fois que vous supportez patiemment la tentation, vous êtes sur la bonne voie et dans toutes ces choses, Dieu se réjouit de votre attitude, de votre obéissance, de votre amour pour sa Parole au point qu'il prend plaisir à vous faire du bien. Dieu veut vous faire du bien tous les jours.
Je prendrai plaisir à leur faire du bien … de tout mon cœur et de toute mon âme. Jérémie 33/41
Ne cherchez pas le bien-être ou, si vous préférez, le bonheur, dans les biens matériels au point de faire de l'argent un but à atteindre (voir le matérialisme) car, dans le fond, c'est de cela qu'il s'agit dans nos sociétés. Comprenez maintenant, qu'en tant que chrétien, le bien-être selon Dieu c'est d'abord d'être en marche, sur la bonne voie de son royaume et ses principes, c'est de savoir vivre simplement, en appréciant la beauté du monde qui nous entoure, en se contentant de ce qu'il nous donne sans se laisser séduire par la convoitise permanente de tout ce que le monde met sous nos yeux. Si les biens matériels étaient gage de bonheur, pourquoi les riches qui peuvent tout se payer, ne sont pas forcément heureux ? Si vous ne l'êtes que par l'acquisition de biens ou la présence d'une personne aimée, le jour où vous les perdez ou vous en êtes lassé, votre joie part avec leur perte et la tristesse devient à nouveau votre état quotidien. L'argent ne sert à rien pour acheter l'amour, la bonne santé, une famille épanouie et surtout le salut après la mort. Il ne faudrait pas confondre cette joie parfaite qui vient du cœur et donne sens à notre vie tous les jours, quelles que soient les circonstances et la joie temporaire d'une situation ou d'un bien tant convoité. La première ne vous quitte jamais puisque c'est le Saint Esprit qui en remplit votre cœur alors que la seconde est extérieure et doit être renouvelée par la quête d'une autre convoitise, d'une autre personne !
Dieu sait tout ce dont vous avez besoin, au moment où vous en avez vraiment besoin et, si vous marchez dans ses voies, il a promis d'y pourvoir au-delà de tout ce que vous pouvez imaginer ou penser. Cela n'exclut pas bien sûr le superflu que votre cœur désire, mais ça aussi, fait partie du soin que Dieu met à vous faire plaisir car il est bon tout le temps. Sachez voir les bontés de Dieu dans votre vie et soyez toujours reconnaissant. Jésus nous a dit que les païens occupaient tout leur temps à chercher les biens matériels pour satisfaire leur convoitise qui ne fait que nourrir leur égoïsme mais que nous, ses disciples, sommes appelés à être une solution pour les autres par les dons qu'il a mis à notre disposition. Ne soyez pas oisif et si vous ne savez pas quoi faire, aidez les autres bénévolement autour de vous, vous verrez, vous oublierez vos propres insatisfactions puis Dieu s'occupera de votre bien-être. Ne soyez pas non plus trompé par vos émotions et vos sentiments insatisfaits qui fluctuent selon les circonstances, une vie réussie est un marathon qui poursuit un objectif et entretient des valeurs éternelles. Notre vocation est de chercher le royaume et la justice de Dieu, tout ce qui contribue à notre bien-être nous est donné sans que nous le recherchions :
L'Éternel ton Dieu te comblera de biens en faisant prospérer tout le travail de tes mains, le fruit de tes entrailles, le fruit de tes troupeaux et le fruit de ton sol car l'Éternel prendra de nouveau plaisir à ton bien-être (bonheur) comme il prenait plaisir à celui de tes pères, lorsque tu obéiras à la voix de l'Éternel, ton Dieu, en observant des commandements et ses ordres écrits dans ce livre de la loi, lorsque tu reviendras à l'Éternel, ton Dieu, de tout ton cœur et de toute ton âme. Deutéronome 30/9-10