6. La normalisation de la dime par la loi (suite)
Parce que la Parole de Dieu qui sert de référence à la foi chrétienne se compose de milliers de versets regroupés en des centaines de chapitres eux-mêmes rassemblés en des dizaines de livres (66 pour être précis) et parce qu'il existe des milliers d'autres écrits historiques concernant les pratiques et les traditions de chaque époque, le lecteur de la Bible devrait se montrer prudent lorsqu'un verset est utilisé pour en faire une loi universelle sans référence à son contexte. C'est précisément le cas en ce qui concerne le fameux passage de Malachie où, à l'instar d'Eve qui a faussement ajouté que Dieu avait dit de ne pas toucher le fruit, nombreux sont ceux qui utilisent le verbe tromper comme synonyme de voler pour qualifier un frère de voleur et amplifier sa prétendue désobéissance.
Un homme trompe-t-il Dieu ? Car vous me trompez et vous dites : en quoi t'avons-nous trompé ? Dans les dîmes et les offrandes. Vous êtes frappés par la malédiction et vous me trompez, la nation toute entière ! Apportez à la maison du trésor toutes les dîmes afin qu'il y ait de la nourriture dans ma maison. (Malachie 3/8-10)
Lorsqu'il est cité, ce passage est totalement sorti de son contexte, non seulement par rapport au livre de Malachie mais également par rapport aux livres de la même période dont celui de Néhémie. En effet, Esdras, Aggée, Néhémie et Malachie étant contemporains il faut les étudier en parallèle pour comprendre de quoi il s'agit grâce à des détails disséminés dans les textes. Ces auteurs nous parlent de la construction du second temple (Aggée et Esdras) puis de l'achèvement de la muraille et enfin de l'organisation liturgique (Néhémie et Malachie). Mais, de la construction au retour de l'exil d'une partie du peuple et à la reprise du service au temple il s'écoule 50 à 60 ans. Nous sommes vers -450 de notre ère, date du texte ci-dessus. Pendant cette période, les lévites prévariquent avec les quelques dimes qui leur parviennent, non qu'elles n'étaient pas données mais simplement qu'il y avait encore peu de producteurs et beaucoup de bâtisseurs et de soldats à nourrir. Les lévites et les rares sacrificateurs sont le plus souvent sur leurs terres dans les tribus et non pas à Jérusalem à servir au temple à cause de la réduction des dimes et de la difficulté à les apporter à Jérusalem. Nous avons aussi vu que les juifs qui n'habitaient pas en Canaan ne payaient jamais de dime.
Nous résolûmes d'apporter chaque année à la maison de l’Éternel les prémices de notre sol et les prémices de tous les fruits de tous les arbres. … et de livrer la dime de notre sol aux lévites qui doivent la prendre eux-mêmes dans toutes les villes situées sur les terres que nous cultivons. (Néhémie 10/35 et 37b)
J'appris aussi que les portions des lévites n'avaient point été livrées et que les lévites et les chantres chargés du service (à Jérusalem) s'étaient enfuis chacun dans son territoire. (Néhémie 13/10)
Ces deux versets confirment la désorganisation que constate Néhémie : les lévites et les sacrificateurs ne sont pas fidèles à leur service au temple de Jérusalem. Or Deutéronome 12/17-18 dit expressément : Tu ne pourras pas manger dans tes portes la dime de ton blé, de ton moût et de ton huile, ni les premiers-nés de ton gros et de ton menu bétail, ni aucune de tes offrandes en accomplissement d'un vœu, ni tes offrandes volontaires, ni tes prémices. Mais c'est devant l’Éternel ton Dieu que tu les mangeras, dans le lieu que l’Éternel ton Dieu, choisira … et c'est devant l’Éternel, ton Dieu, que tu feras servir à ta joie tous les biens que tu possèderas.
La dime qui ne peut être mangée "dans les portes" est la deuxième, celle qui doit être apportée dans les villes de chaque tribu ou à Jérusalem. D'ailleurs, dans Malachie, le verbe n'est pas "donnez" mais bien "apportez." Maintenant revenons au livre de Malachie écrit peu de temps avant le ministère de Néhémie. Il est principalement une réprimande adressée aux sacrificateurs qui ne font pas correctement leur travail et même spéculent avec les dimes qu'ils reçoivent :
Un fils honore son père et un serviteur son maitre. Si je suis père où est l'honneur qui m'est dû ? Si je suis maitre, où est la crainte qu'on a de moi ? Dit l’Éternel des armées à vous, sacrificateurs qui méprisez mon nom. … Vous amenez ce qui est dérobé, boiteux ou infirme et ce sont les offrandes que vous faites. Puis-je les agréer de vos mains dit l’Éternel ? (Malachie 1/6 et 13.)
Car les lèvres du sacrificateur doivent garder la science et c'est à sa bouche qu'on demande la loi parce qu'il est un envoyé de l’Éternel des armées. … Vous avez fait de la loi une occasion de chute pour plusieurs, vous avez violé l'alliance de Lévi. (Malachie 2/7-8)
Il purifiera les fils de Lévi, il les épurera comme on épure l'or et l'argent et ils présenteront à l’Éternel des offrandes avec justice. (Malachie 3/3)
Ces versets sont sans appel quant aux mauvais comportements des sacrificateurs qui trafiquent avec les dimes alors que certains ont même des propriétés et cultivent la terre pour leur compte tout en recevant aussi les dimes. Remarquez que le verset de Malachie 3/8 parle des dimes mais aussi des offrandes. Or les offrandes ne sont pas obligatoires ; donc il ne peut s'agir que des offrandes d'action de grâce faites par élévation qui, au même titre que la dime appartenaient à l’Éternel (Exode 29/28) et devaient être apportées à Jérusalem. Donc quand Dieu se plaint d'être trompé dans les dimes et les offrandes, ce n'est pas sur le fait qu'elles n'étaient pas données puisque les sacrificateurs et les lévites les recevaient (Dieu ne s'adresse pas à ceux qui payaient la dime) mais sur le fait qu'elles n'étaient plus apportées à Jérusalem à la vue de tout le monde car il s'agissait forcément de la deuxième dime puisqu'il est question de la maison du trésor. Plus personne ne faisait l'effort d'aller à Jérusalem privant Dieu de l'honneur et de la gloire que le peuple était censé lui rendre. Cela n'a rien à voir avec l'aspect matériel de la dime puisque de toute façon elle était consommée par le donateur et les lévites. Donc ce trop fréquent verset de Malachie n'a rien à faire dans nos églises évangéliques car non seulement nous ne sommes plus sous la loi de la dime mosaïque mais en plus il est en rapport avec la dime consacrée à être entièrement mangée par son donateur ! C'est le cas d'un autre verset lui aussi souvent lu pour inciter les chrétiens à donner leur dime alors qu'il a le même but, celui de glorifier Dieu en affichant publiquement la bénédiction à travers l'aisance, l'abondance que Dieu donne :
Honore l'Éternel avec tes biens et avec les prémices de tout ton revenu. (Proverbes 3/9a)
Comparez cette traduction avec la version A. Chouraqui, plus fidèle à l'hébreu, qui nous encourage à glorifier Dieu par notre abondance dans la vie afin que tout le monde le voie plutôt qu'une incitation à se plier à une obligation :
Glorifie le Seigneur-Maître par ton aisance et avec l'en-tête (les prémices) de toute ta récolte.
Hélas, dans les églises, tout est bon pour corréler la dime et les prémices à n'importe quelle bénédiction au point d'affirmer que si vous n'êtes pas béni dans un domaine c'est parce que vous ne donnez pas la dime : votre femme vous a quitté, donnez votre dime, ça la fera revenir, vous avez perdu votre travail parce que vous n'avez pas donné votre dime, vous ne gagnez pas assez d'argent, donnez votre dime et Dieu vous bénira, vous êtes malade, donnez votre dime et vous serez guéri, etc. : c'est insupportable car ce n'est pas vrai mais en revanche, c'est de la manipulation que Derek Prince qualifie même de sorcellerie. Deutéronome 28 qui décrit les causes de la bénédiction et de la malédiction commence par "Si tu obéis à la voix de l’Éternel ton Dieu en observant et en mettant en pratique tous ces commandements que je te prescris aujourd'hui." Le mot important est aujourd'hui car en fait, il fait référence au chapitre précédent, verset premier : "Moïse et les anciens d'Israël donnèrent cet ordre au peuple : observez tous les commandements que je vous prescris aujourd'hui" où il n'est question ni de dime ni de prémices qui ont été définis dans le chapitre 26 et servent à la gloire de Dieu comme nous l'avons étudié. Avec la Nouvelle Alliance, la bénédiction est incluse dans la foi en Jésus, la dime n'étant qu'une œuvre de la loi comme les autres. Proverbes 10/6 nous dit "qu'il y a des bénédictions sur la tête du juste" quand Galates 2/16 (et d'autres) nous dit "que ce n'est pas par les œuvres de la loi que l'homme est justifié mais par la foi en Jésus-Christ." Or donner la dime n'est pas un acte de foi mais d'obéissance à la loi de Moïse. Il n'y a aucune foi à donner par obligation et nulle part dans la Bible il est écrit que Dieu protège les 90% qui vous restent parce que vous donnez 10 % de vos revenus à l'église : c'est une torsion des textes. Dieu ne fonctionne pas par un donnant-donnant matériel car faire une chose contre une autre n'est pas de la foi mais un échange. En revanche, s'appuyer dans les églises sur la dime pour que Dieu les finance est un manque total de foi qui ne laisse aucune place à Dieu pour susciter les dons des fidèles dont le cœur est bien disposé (voir point 8).
Partie 2 : Dime et prémices selon la Bible | |
4. La dime avant la Torah
5. La dime des patriarches
6. La normalisation de la dime par la loi
Dieu détourne la dime païenne
La loi mosaïque concrètement
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La colère de Dieu en Malachie
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A suivre : 7. Les prémices et les premiers-nés