7. Les prémices et les premiers-nés
Les prémices (bekkurim en hébreu) sont les premiers produits de la terre qui arrivent à maturité dans une parcelle et annoncent la récolte future. Toutefois, comme la dime, les prémices ne portent que sur sept produits végétaux : le blé, l'orge, les raisins (plus spécifiquement le moût), les figues, les grenades, l'huile d'olive et le miel de dattes mais aussi une partie du nouveau levain et la laine lors de la tonte des brebis. Dans Exode 23/16 le texte parle "des prémices de ton travail" en précisant "de ce que tu auras semé dans les champs" et rien d'autre. Comme pour la dime, le support des prémices est exclusivement agricole. On ne parle pas de prémices pour les animaux mais des premiers-nés. Les prémices étaient données aux prêtres après que le donateur eut récité la confession (Deut. 26 ; 1-11) reconnaissant Dieu comme celui qui avait racheté les Israélites de la servitude égyptienne et exprimant sa gratitude à Dieu qui les avait amenés en Terre promise. Les prémices pouvaient être amenées entre la fête de Chavouot (ou fête des prémices) au printemps et jusqu'à l'automne à la fête de Souccot (ou fête des cabanes). L'offrande des prémices semblerait représenter une pratique très ancienne, et pourtant elle n'est ni mentionnée dans les livres historiques de la Bible ni dans les descriptions de l'activité cultuelle. La plupart des références se limitent au Pentateuque, à la littérature post-exilique et au livre d'Ézéchiel.
Les prémices, pas plus que les premiers-nés ne sont synonymes de la dime. Les appels à donner la dime par une citation de versets parlant de prémices et de premiers-nés est une erreur ou une manipulation. La façon d'apporter les prémices n'est d'ailleurs pas comparable aux trois dimes que nous avons étudiées, tant sur les bénéficiaires que sur les quantités. De plus, dans le culte juif, les prémices sont corrélées à une prière spécifique comme nous l'avons vu. Par rapport à Dieu, comme pour la dime, elles sont destinées à manifester publiquement sa gloire et sont exclusivement liées à l'entrée en Terre promise. Alors quand j'entends dans les églises parler des prémices d'un salaire pour inciter à la dime, cela m'agace vraiment d'être obligé de subir tant de méconnaissances quant à la pratique de la loi mosaïque dans la dime et les prémices.
Quand vous serez entré dans le pays que je vous donne et que vous y ferez la moisson, vous apporterez au sacrificateur une gerbe, prémices de votre moisson. Il agitera de côté et d'autre la gerbe devant l’Éternel afin qu'elle soit agréée : le sacrificateur l'agitera de côté et d'autre le lendemain du sabbat. Le jour où vous agiterez la gerbe, vous offrirez un agneau d'un an sans défaut. (Lévitique 23/10-12)
Le passage ci-dessus nous décrit la procédure à suivre pour apporter les prémices de la principale source de nourriture à cette époque qui est la production de blé et d'orge. Elle commence par le rappel de la promesse faite à Abraham d'être entré dans la Terre promise comme nous l'avons vu pour la dime et cela ne concerne ici que la moisson. Le producteur devait amener une gerbe des premiers épis arrivés à maturité. On ne peut pas comprendre de quoi il est concrètement question si on ignore qu'à l'époque les champs de céréales étaient très hétérogènes par rapport à la maturité des épis et à la tailles des plants : aujourd'hui la sélection a fait que les champs de blé ou de maïs par exemple sont uniformes afin que tous les plants soient de même taille et mûrissent en même temps. Une gerbe représente donc peu de chose et en règle générale les prémices sont plus symboliques que quantitatives. D'ailleurs, la Bible n'indique aucune quantité. Ainsi, selon la lettre de la loi, offrir un seul épi pouvait suffire pour toute la récolte. Pour éviter cela, les rabbins (et donc non pas la loi) ont établi avec le temps, un quota par rapport à l'estimation de la récolte qui variait d'un quarantième à un soixantième pour les plus mesquins ! Non seulement la gerbe devait être agitée par le sacrificateur afin que tout le monde la voit mais aussi, le producteur devait offrir un agneau. En fait les prémices et le sacrifice étaient assimilés à une offrande par élévation, donc volontaire et consacrée, que le sacrificateur pouvait manger. Voilà quelles étaient les règles qualifiées par deux fois de loi perpétuelle, aux versets 14 et 21 et concernant les prémices alors de grâce n'utilisez plus cette notion pour justifier le financement des églises aujourd'hui car nous vivons dans un autre monde que celui de la loi ! Comme la deuxième dime les prémices avaient pour fonction d'être démonstratives afin de glorifier Dieu aux yeux de tous.
En ce qui concerne les premiers-nés, c'est encore plus simple : cela ne nous concerne plus. Jésus nous a définitivement rachetés mais en appliquant la dime qui est liée par la loi aux lévites et par ricochet aux sacrificateurs, vous devriez aussi, selon la loi, racheter le premier-né de vos garçons pour être conforme au respect de la loi à la lettre que vous choisissez d'appliquer. En effet, dans l'Ancienne Alliance, Dieu avait dit que tous les premiers-nés, tant des hommes que des bêtes lui appartenaient après les avoir rachetés lors de l'instauration de la Pâque qui déclencha la sortie d’Égypte (Exode 13/1 et 14-15 ; Nombres 3/13). Si les premiers-nés des hommes sont rachetés par Dieu par la consécration des lévites, les premiers nés des animaux produits par le peuple le sont d'abord par les troupeaux que les lévites étaient autorisés à posséder, notamment afin d'avoir du lait et de la viande qui ne pouvaient se conserver mais aussi des ânes pour se déplacer.
Tu prendras les lévites pour moi, à la place de tous les premiers-nés d'Israël et le bétail des lévites à la place de tous les premiers-nés du bétail des enfants d'Israël. (Nombres 3/41 et répété aux versets 44)
Cela démontre que si la dime, les prémices et les premiers-nés avaient été appliqués sur les critères utilisés dans nos églises, les lévites et les sacrificateurs auraient très vite été les hommes les plus riches du pays ! Tous les premiers-nés étaient donc consacrés à l’Éternel d'une manière ou d'une autre. Comme la dime qui compensait l'héritage des terres que les lévites n'ont pas reçu, les premiers-nés des hommes sont compensés par les lévites. Or de nos jours il n'y a plus de lévites et les ministres de Dieu sont appelés indépendamment d'une caste sacerdotale. Il n'en demeure pas moins que la dime que vous appliquez, reste toujours liée aux premiers-nés. Vous devriez donc continuer à racheter votre premier-né car le sacrifice de Jésus ne remplace pas la consécration des premiers-nés qui, comme la dime est liée à l'organisation cultuelle. Son sacrifice remplace seulement les milliers d'agneaux immolés chaque année à Pâques pour le pardon des péchés : ce sont deux choses bien distinctes. Enfin, quant aux premiers-nés issus de leurs troupeaux, le peuple avait deux possibilités :
1. le premier-né était une offrande du producteur décrite en Nombres 18/15 : "Tout premier-né de toute chair qu'ils offriront à l’Éternel, tant des hommes que des animaux sera pour toi (sacrificateur). Seulement tu feras racheter le premier-né de l'homme et tu feras racheter le premier-né d'un animal impur." Voir plus de détails dans le texte biblique.
2. Le premier-né mâle du gros et du menu bétail qui n'est pas une offrande consentie par le donateur est quand même consacré à l’Éternel pour être mangé chaque année par l'éleveur et sa famille selon Deutéronome 15/19-23 comme l'était la deuxième dime : … Tu le mangeras chaque année, toi et ta famille devant l’Éternel, ton Dieu, dans le lieu qu'il choisira. … S'il a quelque défaut … tu ne l'offriras point en sacrifice à l’Éternel ton Dieu. Tu le mangeras dans tes portes. Notez qu'un petit producteur n'avait pas forcément un premier-né mâle à sacrifier de ses brebis ou chèvres et encore moins d'une vache !
Si vous observez bien l'ordre d'apparition des trois pratiques que nous venons d'étudier dans la Bible, vous remarquerez qu'il existe un enchainement logique qui fait qu'elles forment un ensemble cohérent qui n'existe plus de nos jours dans les églises et pour cause. Comme la dime était une pratique courante dans le Proche-Orient ancien, il est normal qu'elle apparaisse la première puisque nous la trouvons en Genèse avec la rencontre d'Abraham avec Melchisédek. Les premiers-nés des hommes et des animaux arrivent ensuite en Exode 13/1 et suivants juste, au départ de l’Égypte en mémoire du rachat des premiers-nés des hébreux. Pour nous, le devoir de mémoire du sacrifice de Jésus, premier-né de la Création s'effectue désormais par la Sainte Cène riche en symboles. Enfin, les prémices complètent la trilogie déjà à partir des récoltes effectuées dans le désert (Exode 22/29). Maintenant il ne reste plus qu'à relier les trois par une organisation sociale astucieuse. Dieu substitue les premiers-nés des hommes par la tribu de Lévi pour se doter de prêtres au service du culte dans les tribus et de sacrificateurs pour les holocaustes. Il leur donne la dime, les prémices et les premiers-nés du gros et du menu bétail pour nourriture pour compenser la privation de terres à cultiver en Canaan réparties dans les autres tribus mais aussi une partie des offrandes d'action de grâce du peuple, dites faites par élévation (les autres étant brûlées sur l'autel).
Toute cette organisation cultuelle sera sujette à de nombreuses adaptations au cours des siècles en fonction des circonstances et maintenue ainsi sur la Terre d'Israël jusqu'à la destruction définitive du temple de Jérusalem en 70. A l'exception de la symbolique spirituelle du rachat des premiers-nés, il n'y a rien dans cette organisation sociale et ses pratiques qui nous autorise à élever la dime à une sacralité spirituelle que du reste elle n'avait même pas dans l'Ancienne Alliance. Elle a autant de valeur que des dizaines d'ordonnances qualifiées souvent de loi perpétuelle (dont la dime n'a d'ailleurs jamais été qualifiée) et que nous ne pratiquons pas, à juste titre. Donc, compte-tenu de tout ce que nous avons vu en détail quant aux raisons de la dime pourquoi, nos églises chrétiennes s'obstinent à la maintenir sinon qu'elles y trouvent une facilité de conviction à ce que les chrétiens s'en acquittent en martelant à tort qu'elle est exigée par Dieu ? Pour mémoire, ce que Dieu attend de chacun de ses enfants se trouve résumé en Michée 6/8 et rien de plus (ici dans sa version en français d'aujourd'hui) :
On t'a fait connaître ô homme ce qui est bien et ce que l’Éternel attend de toi : c'est que tu te conduises avec droiture, que tu prennes plaisir à témoigner de la bonté et qu'avec modestie tu vives pour (glorifier) ton Dieu.
Comme je l’ai déjà mentionné dans l’étude sur la Rédemption, notez que Paul est très clair en d’Hébreux 7/11-12 en nous disant que la loi de Moïse repose uniquement sur le sacerdoce lévitique signifiant donc que, puisque ce sacerdoce n’existe plus, tout ce qui lui est rattaché financièrement devient caduque, donc la dime qui servait à compenser la non-attribution de terres à la tribu de Levi.
Si donc la perfection avait été possible par le sacerdoce lévitique, car c'est sur ce sacerdoce que repose la loi donnée au peuple, qu'était-il encore besoin qu'il parût un autre sacrificateur selon l'ordre de Melchisédek et non selon l'ordre d'Aaron ? Car le sacerdoce étant changé, nécessairement aussi il y a un changement de loi.
Supplément : l'offrande de Caïn
Au bout de quelques temps, Caïn fit une offrande des fruits de la terre et Abel de son côté en fit une des premiers-nés de son troupeau et de leur graisse. (Genèse 4/3-4)
Reprenons l'étude Financially Farming God's Way (1987) de M. Bishop pour voir ce qu'il nous dit quant à la fameuse offrande de Caïn. Le texte biblique n'est pas très loquace et pourtant c'est incroyable tout ce que des responsables comme cet auteur sont capables d'en tirer juste dans le seul but de légitimer une dime que Caïn et Abel ne connaissaient pas plus qu'Adam et Eve avec l'arbre de la connaissance. Cet "homme de Dieu" bien que davantage homme d'affaire, met l'accent sur le début du verset traduit par "au bout de quelques temps" et qui est en hébreu "au terme des jours" soit "en fin de saison". Il utilise cela pour nous dire que l'offrande de Caïn n'a pas été acceptée par Dieu parce que les fruits qu'il a offerts n'étaient pas les meilleurs mais des restes et qu'il a gardé les meilleurs pour lui. Voilà bien une interprétation totalement gratuite et sans fondement que cet "enseignant" nous donne pour justifier le fait que la dime doit être donnée d'abord. Après avoir lu ce qui précède, peut-être vous rendez-vous compte de la manipulation d'une telle assertion, que je vais quand même dénoncer.
Le texte parle d'une offrande et non pas d'une dime qui n'existait pas et ensuite il confond dime et prémices car la dime mosaïque n'a jamais était une offrande des meilleures productions mais une partie de la récolte donnée au lévites et non pas une offrande. La dime étaient forcément donnée en fin du cycle de production sinon impossible de savoir quelle quantité donner. D'ailleurs au second temple il existait le Nouvel An des Arbres qui servait à évaluer la dime des fruits. Seuls les fruits cultivés à récolte limitée dans le temps étaient soumis à la dime : raisin, figues, grenades et miel de dattes. Tous les autres fruits et a fortiori les fruits sauvages, n'ont jamais été dimés. De plus, le texte nous parle «des fruits de la terre» et je ne suis pas certain qu'il faille comprendre le mot «fruits» dans son sens restreint du produit d'un arbre fruitier mais justement dans le sens générique de résultats dont plutôt de «produits de la terre». Je ne crois pas qu'à ce début de l'humanité, dans la luxuriance de la Création, Caïn cultivait des arbres fruitiers ! Il se contentait de les manger sur l'arbre au gré des saisons et Abel aussi ! Il est enfin ridicule d'opposer le cycle d'une culture avec celle d'un élevage d'animaux, ces derniers n'ayant pas besoin de l'intervention de l'homme pour se multiplier et croître. C'est justement là qu'est la clé : en offrant les fruits de la terre, Caïn n'a pas reconnu que Dieu en était le pourvoyeur mais s'est montré fier de son travail fait avec sa propre force pour subvenir à ses besoins au lieu de s'attendre à Dieu. Le mot «terre» (adama en hébreu), fait référence au système du monde et non pas au sol, la terre en tant que support. Au contraire, Abel a manifesté sa foi en Dieu en lui attribuant les naissances dans son troupeau alors que Caïn a défié Dieu en lui montrant sa capacité à se débrouiller sans lui (voir le livre L'ordre et la perfection cité en référence dans lequel ce récit est détaillé).
Partie 2 : Dime et prémices selon la Bible | |
4. La dime avant la Torah
5. La dime des patriarches
6. La normalisation de la dime par la loi
Dieu détourne la dime païenne
La loi mosaïque concrètement
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7. Les prémices et les premiers-nés
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A suivre : 8. Le financement des structures