Adorer : l'adoration

Le mot adorer et tous ces dérivés ne se trouve pas dans la Bible et son emploi a, petit à petit, transformé le sens de chaque verset au point de nous détourner de ce qui est réellement écrit puisqu'il est difficile pour nous de se détacher de son sens dérivé le plus employé actuellement. Étymologiquement, adorer est un parfait exemple de ce que j'ai écrit précédemment, d'abord par son apparition très récente (autour de l'an 1000). Jusqu'à cette date, on n'a donc pas pu utiliser ce mot, notamment avec le sens qu'il a très vite pris et qui est encore en vigueur de nos jours. Adorer est formé de ad et orare dont la juxtaposition en latin signifie "à prier", orare ayant donné en français orai­son, synonyme de prière mais aussi orateur. Vraisembla­blement pour les chrétiens du VIe au Xe siècle, le dieu "ad orare" était donc le dieu à prier, celui qu'il fallait prier ... bref, en quelque sorte cela identifiait le "bon dieu" au milieu de tous les autres.

C'est donc vers l'an 1000 que le mot, transformé en "aorer", prend son caractère religieux très spécifique avec le sens "d'honorer par le culte" et "adresser une prière", parfois même, il est synonyme de saint comme dans le Dieu aoré pour le Dieu saint ou le vendredi aoré pour le Vendredi Saint. Cette destination sémantique s'applique toutefois à toutes sortes de divi­nités : idoles, objets sacrés, faux dieux, symboles et bien sûr le Dieu de la Bible. Ce n'est que vers 1165 qu'il prend le sens de "respec­ter d'une manière extrême", sens qu'il gardera jusqu'au XVIe siècle mais cette fois sous la graphie adorer. Dès la fin du XIIe siècle il s'emploie parallèlement dans la poésie pour aimer passionnément, sens qui déri­vera au XVIIe siècle pour s'appliquer aux choses abstraites tout en devenant une sorte de superlatif du verbe aimer, sens la plus utilisé de nos jours.

Le mot le plus adapté qui traduit parfaitement l'emploi de l'hébreu est le verbe prosterner et cette fois, on se place davantage dans la soumission que Dieu attend de nous, celle de l'abandon, de la dépendance, de l'humi­lité notamment dans l'esprit et dans l'authenticité, sans hypocrisie. Or cette soumission que Dieu nous demande est la transposition à l'esprit d'une attitude de l'homme que je qualifierai de "sauvage" pour éviter le mot "naturel" déjà employé dans la Bible pour désigner l'homme qui vit sans Dieu et ce, au même titre que Dieu a utilisé l'agneau pour nous parler de Jésus. L'homme sauvage est celui qui conserve encore ses instincts. Un instinct n'est pas forcé­ment une attitude dont il faut se débarrasser à tout prix mais simplement un comportement réflexe utile à la survie et compris par tous les individus sur la planète quelle que soit leur race, sans avoir besoin de parler. Seul l'esprit activé par la foi est créé à l'image et à la ressemblance de Dieu. J'en veux pour preuve que Jésus a dit "de ces pierres-ci, Dieu peut susciter des enfants à Abraham" indiquant entre autre que ce n'est pas dans l'apparence physique que Dieu existe en nous. Bon, vous avez surement dépassé ce niveau de compréhension et ce n'est pas le sujet.

Chez toutes les civilisations et dans tous les temps l'homme se prosterne devant celui qu'il considère lui être supérieur, quel qu'en soit le motif. Cela se manifeste par une attitude qui consiste à exposer sa nuque en tombant sur ses genoux et en courbant le dos pour mettre sa face contre terre en signe d'humilité et de soumission. L'hébreu emploie dans la Bible l'expression "tomber sur ses faces" pour se prosterner en signe de soumission comme en Genèse 17/3. C'est un des rares passages où le français a gardé quasiment le texte originel bien qu'en hébreu "faces" soit au pluriel pour exprimer la multiplicité de nos expressions. C'est exactement l'attitude de prière des musulmans ou de certains moines qui se couchent sur le sol, face contre terre. On retrouve ce même principe démonstratif dans le monde animal dont le plus connu s'observe chez les loups et les chiens qui mettent leur queue entre les pattes arrière tout en geignant, la tête basse, autour du dominant. Seul le dominant à la queue relevée et la tête haute. Chez l'homme, le fait de rester debout, torse bombé, le regard vers le contradicteur est une expression de défit qui conteste l'autorité. Bien sûr chez l'homme moderne il n'est plus question d'exprimer ainsi nos rapports de force puisque la parole et l'autorité sociale jouent ce rôle mais notez toutefois que, parfois, pour supplier quelqu'un ou se faire pardonner une faute grave, on tombe à genoux en signe de soumission ou d'humilité comme plus fréquemment on s'incline devant une personne importante, reste symbolique de cette prosternation qui avait encore cours dans la monarchie.

C'est précisément ce que Dieu attend de nous et surtout dans l'esprit. Donc, inutile de croire que je voulais vous demander de pratiquer le rituel islamique qui n'est rien de plus que la tradition archaïque de cette démons­tration de soumission face à celui qui avait, à l'époque, droit de mort et de vie en tant que noble ! Par ailleurs, remarquez aussi l'expression d'un autre instinct humain lorsqu'on se laisse aller à la prosternation dans l'esprit (et non plus donc à l'adoration, sauf à l'employer dans le sens de soumission, d'abandon). Il s'agit de l'attitude qui consis­te à lever les bras, signe de reconnaissance par lequel nous disons à Dieu que nous nous plaçons volontairement sous sa protection et son autorité dans tous les domaines de notre vie tel que tous les enfants le font avec leurs parents et tels que tous les grands primates le font aussi ! Cette attitude véhicule également autre chose qui est étudiée dans la page Le bras et la main de Dieu.

Si donc l'adoration est définie et comprise comme véhiculant un état d'aban­don, de soumission, d'humilité, de prosternation et de dé­pendance, j'avoue que j'ai du mal à relier le verbe adorer à ces notions ou autrement dit, qu'exprime-t-on quand on dit à Dieu "je t'adore" ? En effet, comme nous l'avons vu plus haut ce verbe n'a que deux significations : honorer res­pectueusement ou aimer passionnément. Ainsi, aucune de ces définitions ne correspond vraiment à ce que nous avons défini en rapport avec le mot hébreu qui parle de prosternation. Disons alors que chacun est donc libre de mettre ce qu'il veut lorsqu'il dit adorer Dieu. Pour ma part je l'emploierai pour dire à la fois que je l'aime passionné­ment au point de l'honorer en toute humilité par ma sou­mission et mon abandon à sa volonté parfaite. Finalement en un seul mot j'exprime une foule d'attitudes de cœur !